Découvrez quelle place occupe le cheval dans la culture et vie quotidienne kirghize lors d’un voyage au Kirghizistan avec Rencontres au bout du monde
Sur les bords du lac Son Kul
Nous nous délectons en silence du sublime paysage qui nous entoure. Pas d’impatience, l’instant est si beau. Quel voyage !
Devant nous, l’eau bleue et translucide du Son Kul.
Le lac hésite entre miroir et mirage : les montagnes sur l’autre rive, au loin, existent-elles vraiment, ou sont-elles un génial artefact ?
Sur la rive, de part et d’autre, au loin, des troupeaux de chevaux paissent en toute quiétude.
Enfin, derrière nous, des yourtes sont posées sur les pentes de la colline comme autant de champignons blancs.
Nous attendons. Slow voyage. Beau voyage.
Les nomades qui nous hébergent dans leurs yourtes nous ont invités à assister à une amicale rencontre de kök-börü. Ils attendent avec confiance avec nous.
Et puis soudain, comme émergeant au loin de l’horizon, à droite et à gauche, des cavaliers approchent à bon train. Les acteurs du jeu arrivent.
Nous sommes au septième jour du voyage au Kirghizistan préparé par « Rencontres au bout du monde ».
Topographie du Kirghizistan
Pour beaucoup, le Kirghizistan est un pays sorti tout droit des aventures de Tintin, comme la Bordurie ou la Syldavie. En fait, le Kirghizistan est un petit pays d’Asie centrale de 6 millions d’habitants, état démocratique encadré par d’autres qui le sont moins, le Kazakhstan au nord, la Chine à l’est et au sud, le Tadjikistan au sud-ouest et l’Ouzbékistan à l’ouest. D’une superficie de 198 500 km2 (1/3 de la superficie de la France), le pays est totalement enclavé et ne possède pas d’accès à la mer.
Par contre, cette particularité du Kirghizistan ne doit pas freiner l’envie d’aller en voyage. Car le Kirghizistan est le château d’eau de l’Asie centrale.
Contrairement aux images que l’on a des pays en –stan, le Kirghizistan est un pays extrêmement montagneux : en effet, le Kirghizistan est traversé par les chaînes du Tian shan et du Pamir, des chaînes de montagnes abritant quelques-uns des plus hauts sommets de l’Asie centrale (7 439 m au Jengish Chokusu , 7134 m au pic Lénine) ainsi que l’un des plus longs glaciers du monde, l’Inylchec, qui dépasse les 50 km. Voyage donc conseillé pour les amateurs de hautes cimes. L’altitude moyenne du Kirghizistan est de 2500 mètres, et l’eau y coule à profusion.
Si le Kirghizistan n’a pas d’accès à la mer, il possède par contre le plus grand lac de montagne de tout le continent eurasien (plus de dix fois la superficie du lac Léman) : le lac Issyk-Kul. Suite à des phénomènes telluriques et des glissements de terrain, le lac a englouti il y a environ 500 ans une importante ville-étape de la route de la soie dont les restes commencent à être explorés.
Quant au 2ème plus grand lac du Kirghizistan, le Son Kul, c’est un paysage sans égal qui vous y attend et qui mérite à lui seul le voyage. Petit bijou du Kirghizistan niché à environ 3 000 mètres d’altitude, le Son Kul sert souvent d’illustration pour les cartes postales et guides de voyage du pays.
Kirghizistan : peuple nomade
Mais le lac Son Kul sert surtout de pâturage d’été pour les bergers kirghizes et leurs troupeaux de chevaux, moutons et yaks.
Car les habitants du Kirghizistan sont demeurés encore à ce jour fondamentalement nomades.
L’histoire ancienne du Kirghizistan est complexe, différents peuples de cultures très différentes y ont vécu au fil du temps.
Le peuple Kirghize est un peuple qui évoluait originellement, il y a 2 000 ans, dans le nord-est de la Mongolie. Il s’est installé dans la région formant l’actuel Kirghizistan au XVe siècle.
Les habitants du Kirghizistan se sont adaptés à leur environnement pendant des millénaires et ont été sédentarisés plutôt contre leur gré durant la domination de l’URSS sur le Kirghizistan.
Durant la période soviétique, le pays s’est urbanisé avec le développement dans les zones de plaine des villes de Bichkek, la capitale, au nord (environ 800 000 habitants), et de Och, au sud (environ 200 000 habitants). Mais les pratiques nomades se perpétuent et la population Kirghize reste aux 2/3 rurale.
Les Kirghizes ont pour philosophie de vivre en harmonie avec leur environnement et sont fiers de leurs traditions. Elles comprennent notamment les artisanats liés à la fabrication et à la décoration des yourtes, faites d’épaisses toiles de feutre et d’éléments décoratifs de toute beauté.
Lors de notre voyage, l’un de nos hôtes avait justement pour activité la construction de yourtes. C’est donc avec le plus grand intérêt que nous avons assisté aux différentes phases de réalisation de ces dômes traditionnels, coloration du feutre, découpe, couture, fabrication des rubans d’attache, des perches constituant l’armature, enfin montage de la yourte terminée. Plusieurs familles du village étaient d’ailleurs associées à cette activité.
La yourte reste un symbole fort du Kirghizistan et de la culture nomade, au point d’être représentée sur le drapeau national.
Et même si les kirghizes sont aujourd’hui en partie sédentarisés, ils continuent à transhumer pour trois ou quatre mois en montagne, en particulier autour du Son Kul, lorsque les températures se réchauffent, afin de donner de l’herbe fraîche à leurs élevages, laissés en semi-liberté.
Le cheval occupe une grande place dans l’art, l’imaginaire et la symbolique collective.
Kirghizistan : terre des chevaux
Pays nomade par excellence, le Kirghizistan est donc aussi un pays équestre. Dès le plus jeune âge, les enfants montent à cheval avec autant de facilité que nos enfants européens font du vélo.
« Les chevaux sont les ailes des Kirghizes ». Ce dicton résume bien l’importance pour ce peuple nomade du cheval kirghize. Et aussi ses qualités. Les chevaux kirghizes sont issus d’un croisement de juments kirghizes avec des étalons pur-sang arabes. Ils sont à la fois résistants, endurants et sobres.
Pour les Kirghiz, qui passaient naguère plus de temps en selle que sur terre, le cheval est l’un des animaux domestiques les plus proches et les plus prisés. Le cheval est ainsi célébré dans la littérature et les traditions orales qui en font un alter égo de l’homme.
Avant la période soviétique, le statut social des individus était grandement déterminé par le nombre de chevaux possédés. Le cheval permettait aux nomades kirghizes de réaliser des actions militaires, de chasser, et de se déplacer dans les plaines et les montagnes.
De nos jours, il conserve une place fondamentale : il n’a perdu ni sa valeur économique, ni sa place sociale, ni son rôle culturel.
Après une période de crise dans les années 1990, l’élevage équin et la consommation de lait de jument connaissent un renouveau, de même que les jeux et les fêtes équestres traditionnels.
C’est avec fierté que nos hôtes des bords du Son Kul nous ont fait participer à la traite des juments, nous en ont fait dégusté le lait, et découvrir le Koumis. Le koumis est une boisson traditionnelle des nomades à base de lait de jument fermenté. Son goût spécifique aigre-doux peut être plus ou moins fort et fumé. C’est une boisson revigorante et légèrement grisante si l’on en boit un peu trop.
Il reste fréquent d’offrir un cheval à la belle-famille, et de lui fournir de la viande de cheval et des abats pendant la cérémonie de noces. Les chevaux sont aussi utilisés dans le cadre de rites de passage et de fêtes calendaires. La viande de cheval est considérée comme prestigieuse, et une halle particulière existe au centre du marché de Bichkek pour la vente de viande de cheval.
Ce fut pour nous un grand honneur de partager avec nos hôtes un repas de fête avec viande de cheval (même si certains voyageurs de notre petit groupe refusèrent d’y toucher… autre approche, probablement hypocrite, du cheval), et un honneur encore plus grand pour moi de me voir offrir, parce qu’étant le plus âgé, le morceau de choix, à savoir l’œil et la joue.
Classiquement, un abattage massif a lieu avec l’arrivée des premiers froids, afin de constituer des réserves pour passer l’hiver. Des chevaux sont couramment sacrifiés lors de fêtes rituelles, qui ont connu un renouveau depuis la fin du communisme.
L’existence d’une race équine nationale reste un élément fort de la culture kirghize, au même titre que la langue et le territoire. Il y a environ 400 000 chevaux au Kirghizistan.
Les jeux équestres kirghizes
Lors de cette 7ème journée de notre voyage, notre patience sur les berges du Son Kul va être largement récompensée. Approchant avec vélocité, de petits groupes de cavaliers convergent vers notre position. Nous avions bien remarqué sur cette berge du lac une vaste zone qui faisait penser à un grand terrain de football. Mais pas de buts en forme de cages à chaque extrémité, plutôt des espèces de petits monticules constitués de terre et de pneus usagés, manifestement construits pour durer. Il s’agissait en fait du terrain de kök-börü, plus connu (à travers les médias occidentaux) sous le nom de bouzkachi.
Kök-börü
Finalement, tout le monde se retrouve là, nous un peu impressionnés par la prestance de ces cavaliers et la vitalité de leurs chevaux, eux contents de se retrouver pour une confrontation amicale.
A un moment, il nous est demandé de sortir du terrain de jeu, et même de nous en éloigner un peu par prudence. On va rapidement comprendre pourquoi. Mais les « adversaires » sont prêts et les « hostilités » vont manifestement commencer.
La dépouille d’une chèvre, dont le sacrifice nous est épargné (nous frêles occidentaux), est alors apportée au centre du terrain. Un coup de sifflet. C’est parti.
Les cavaliers se rencontrent, se heurtent, s’échappe avec le corps de la chèvre coincé sous leur jambe, partent au grand galop vers le but adverse, se font rattraper et chiper la bête. On comprend là la nécessité d’avoir des montures exceptionnelles de rapidité et d’obéissance ?
Enfin un cavalier échappe à tous et va placer la carcasse dans le puits ménagé au centre du monticule-but de l’autre équipe.
Goal!!! et carcasse au centre pour le prochain assaut.
Le kök-börü est un sport collectif équestre kirghize dans lequel la dépouille d’une chèvre ou d’un mouton sert de balle. Deux équipes de cavaliers s’opposent pour s’emparer de la carcasse et la mettre dans le but adverse un maximum de fois sur une durée de 20 minutes.
Le terrain de jeu mesure 200 mètres de long et 70 mètres de large. Les deux buts en forme de puits (tai kazan en kirghiz) mesurent 3,6 mètres de diamètre et 50 centimètres de profondeur, et sont éloignés de 140 mètres l’un de l’autre.
Quatre joueurs de chaque équipe sont en permanence sur le terrain et peuvent être remplacés pendant le match. Le match compte trois périodes de 20 minutes, avec 10 minutes de pause entre chaque période. Au début de chaque période, une carcasse de chèvre de 32 à 35 kilos est placée au centre du terrain. Au signal de l’arbitre, les huit cavaliers se lancent au galop pour attraper le cadavre, le tirer sur son cheval jusqu’à le jeter dans le puits du camp adverse… si les autres ne sont pas suffisamment vigilants et rapides.
Evidemment, le but est de marquer le plus possible de points pour remporter le match.
On joue régulièrement au kök-börü dans les villages, à l’occasion de fêtes, de mariages, ou « sponsorisé » par des familles aisées (ou des voyageurs étrangers). C’est un sport dont les Kirghizes sont très fiers.
Le calme est revenu sur le terrain. Nous n’avons pas réellement compté les points et avons plutôt compté les coups, car même si la rencontre était purement amicale, les participants ont manifestement mis un point d’honneur à impressionner les spectateurs que nous étions, quitte à se blesser, ce qui inévitablement arriva… rien de grave heureusement.
Mais on imagine la violence d’un match « officiel », ou international…
Remis de leurs efforts, les cavaliers tiennent alors à nous montrer alors les autres jeux équestres pratiqués au Kirghizistan.
Ils commencent par le jeu de Kyz Kuma.
Kyz Kumay : qui de l’homme ou de la femme sera le meilleur ?
Dans ce jeu particulièrement apprécié des Kirghizes, une femme et un homme s’affrontent, tous deux à cheval. Deux manches. Dans la première manche, l’homme, ayant laissé une avance à la femme doit la rattraper. S’il réussit, il peut l’embrasser. Ce qui n’est pas gagné, car les femmes kirghizes sont aussi habiles à cheval que les hommes. Puis, l’heure est à la revanche : c’est à la femme de poursuivre l’homme ; si elle le rattrape, elle peut le fouetter de son kamtcha (petit fouet court utilisé par les cavaliers kirghizes).
La démonstration de nos amis kirghizes nous amusa beaucoup… jusqu’à ce qu’ils nous proposent de nous y essayer. Après bien des réticences, l’un et l’une d’entre nous, ayant déjà fait du cheval, acceptent. Mais nos amis n’avaient pas précisé que la confrontation ne serait pas « entre » elle et lui, mais « contre » eux. Evidemment, notre représentante est embrassée (clairement contre son gré…), et notre représentant reçoit (symboliquement) le fouet. Les cavaliers du Son Kul sont ravis.
Deux d’entre eux se présentent alors pour nous faire une démonstration de lutte à cheval (Er enish en Kirghize)
Er enish : démonstration de force
Autre sport très important pour les nomades, la lutte permettait de garder les hommes en forme en temps de paix, et de mettre à l’épreuve leur force.
L’ « Er enish » est une des formes de lutte traditionnelle qui se pratique à cheval. L’objectif pour chacun des deux lutteurs est de faire tomber son adversaire de son cheval, ou qu’au moins une partie de son corps touche la terre.
C’est une forme de lutte assez spectaculaire, nécessitant force, agressivité, ruse et grande concentration. Sans oublier le rôle essentiel des chevaux, qui doivent eux-mêmes être très résistants et parfaitement obéissants.
On retrouve des traces écrites de telles luttes dans d’anciens textes et dans les épopées.
Finalement, après quelques minutes de confrontation, d’attaques contrées par chacun des deux adversaires, de tentatives de déstabilisation par la force ou par la ruse, le tout dans une danse incessante des chevaux accolés l’un à l’autre par leurs cavaliers, le « meilleur », sur une seconde d’inattention de son adversaire, l’emporte.
Belle démonstration de la force de ces nomades…
Pour terminer, les cavaliers les plus jeunes font une démonstration de leur équilibre, de leur maîtrise du cheval et de leur souplesse. Ils sont très contents de s’élancer dans une partie de Tiyin Enmei.
Tiyin Enmei : ramasser la monnaie
Dans ce jeu, les cavaliers partent au galop pour ramasser de la monnaie (remplacée par un fanion en tissu dans la forme moderne) déposée sur le sol. C’est entre cavaliers une compétition d’habileté. Le cavalier doit contrôler sa trajectoire en même temps qu’il se penche totalement sur le côté jusqu’à pouvoir saisir au passage le billet ou la pièce de monnaie posée sur le sol.
Une après-midi très instructive au bord du Son Kul. Le soleil commençe à décliner. Nos amis cavaliers nous quittent. Mais ils ne repartent pas tous dans la direction d’où ils étaient venus. Il semble aux dires de nos hôtes qu’ils finiront probablement la soirée devant un bon repas.
Les Kirghizes pratiquent d’autres jeux équestres comme la chasse à l’aigle (Salburun) ou encore le tir à l’arc à cheval (Jamby Atysh).
De même, les courses de chevaux sur longue distance, dites baïge (ou bäjge) connaissent un développement important depuis les années 1990. Celles qui sont organisées dans le cadre des festivals At čabyš créés sous l’impulsion de Jacqueline Ripart, s’inspirent dans leur règlement des courses d’endurance occidentales : seuls les cavaliers adultes sont autorisés à participer, des contrôles vétérinaires sont prévus et des prix sont remis pour les chevaux ayant la meilleure condition physique.
Un voyage super cool
Voilà le récit d’une belle après-midi de voyage.
Un voyage de 15 jours, à la fois plein et apaisant (malgré le choc entre équipes de kök-börü).
Plein parce chaque jour notre accompagnatrice kirghize (mais parfaitement francophone) de ‘Rencontres au bout du monde » nous permettait de découvrir un nouveau pan de la vie Kirghize.
Apaisant parce qu’à notre rythme, sans jamais courir, toujours dans le partage et la bonne humeur. Avec la gentillesse extrême du chauffeur de minibus qui nous a accompagné tout au long du voyage.
Nous avons pu nous perdre (sans risque) dans l’immense marché-bazar de Bichkek
Tout près de la tour de Burana, nous avons fait une longue halte imprévue pour échanger avec des agriculteurs qui récoltaient dans un champ de fraises et leur en avons acheté un cageot (qui ne fit pas long feu)
Nous avons partagé la vie du fabricant de yourtes, de sa famille et d’habitants du village, et avons même monté une yourte
Nous sous sommes baignés et avons fait la sieste au bord du lac Issyk-Kul
Nous avons vécu trois jours avec les nomades du Son Kul, sous la yourte, dont la porte s’ouvrait directement vers le lac et les montagnes
Trois jours ensuite chez des éleveurs de yacks au bout du monde (« Rencontres au bout du monde » porte bien son nom)
Nous avons chanté et dansé avec nos hôtes
De là, nous avons rejoint à pied le magnifique caravansérail de Tash Rabat, autrefois halte essentielle de la route de la soie
Puis, sur le chemin de retour, trois nouvelles journées dans un village agricole avec les familles d’une coopérative de confection de tapis en feutre
Nos hôtes nous ont à chaque fois laissé profiter de leur spa traditionnel
Et nous avons bien sûr écouté avec recueillement la légende du grand Manas (héros mythique du Kirghizistan)
Et tant d’autres imprévus, de détails de la vie que l’on saisit seulement en prenant son temps.
Nous avons quitté tous nos hôtes et notre accompagnatrice avec beaucoup de difficultés.
Un vrai voyage cool, un vrai « slow voyage » comme seul des voyagistes comme « Rencontres au bout du monde » savent les préparer.
Dans le respect des voyageurs et de leurs hôtes.
Merci encore à « Rencontres au bout du monde ». C’est un voyage rare, trop rare.
Je ne saurais trop recommander de consulter le site de « Rencontres au bout du monde »
Car, en plus, des voyages comme ça, ils en ont d’autres!!!
Hervé, fidèle voyageur de Rencontres au bout du monde
Crédit photo : Clémence D. et Hervé P. avec nos remerciements.